Du jamais vu !

10 mars 2024 – 4e dimanche de Carême
Lectures de l’année A:
1 S 16,1b.6-7.10-13a ; Ps 22 (23) ; Ep 5,8-14 ; Jn 9,1-41
Homélie du frère Jean-Marc Gayraud

Les lectures de l’année A pour les 3e, 4e et 5e dimanches du Carême sont spécialement adaptées au cheminement vers le baptême. Comme le propose la liturgie, nous avons pris ces lectures et non pas celles de l’année B.



Quand un aveugle-né vient à voir, c’est du jamais vu qui s’offre à son regard. L’évangile de l’aveugle-né oriente aujourd’hui notre regard vers ce jamais vu, cette illumination qui procède de la condition nouvelle dans le Christ, un vrai passage de la ténèbre à la lumière. Ce passage est d’ailleurs aussi fréquent et aussi nouveau que chaque jour qui se lève sur ce monde, la foi au Christ étant une réalité vivante et dynamique. Il s’agit de regarder à partir du Christ un quelque chose qu’il était bien impossible de voir par soi-même, regarder dans le Christ toutes choses qui se laisse voir autrement désormais, regarder le Christ en tout ce qui se regarde. Le Christ est lumière du monde au plus épais de la ténèbre de ce monde. Ce que je vois dans la foi, ce n’est pourtant rien d’autre que ce que je voyais depuis toujours ou plutôt, c’est dans le déjà vu de mon champ de vision le plus habituel et le plus quotidien que je vois désormais du jamais vu, ce qui élargit et approfondit considérablement mon propre champ de vision.

Je croyais pourtant avoir la meilleure place pour voir, je pensais avoir conquis une vue imprenable, je m’étais installé sur le sommet confortable de mon point de vue. Et maintenant que la foi commence à illuminer mon regard, je m’aperçois combien étroite et étriquée était cette vision. Autant la lumière de foi m’invite à voir du jamais vu, autant elle fait voir également la condition de ténèbre qui est la mienne. Lorsque je croyais être dans la lumière, j’ignorais cette ténèbre. Je la vois maintenant, dans cette lumière du Christ qui seule peut la chasser.

L’itinéraire de l’aveugle-né raconte le cheminement et la transformation inédite que la lumière de la foi peut réaliser dans la vie de l’homme. Que ce soit dans la nuit, le jour ou le clair-obscur de sa vie, la lumière de la foi fait cheminer différemment. La foi purifie notre regard, notre cœur, nos pensées, nos inclinations, nos paroles, nos propos, notre façon de voir le monde et les autres. Un regard qui est bien souvent à contre-courant de ce que le monde montre de lui-même. C’est le cas en particulier des projections médiatiques qui jettent trop souvent sur le réel une lumière impudique, injuste, et finalement, mensongère. La vraie lumière n’est pas voyeuriste, elle est amour et vérité. Elle ne condamne pas, elle sauve ; elle ne pèche pas, elle sanctifie ; elle n’anéantit pas, elle recrée.

Il n’est pas d’autre condition à cette transformation du regard opérée par la foi que le fait de reconnaître en soi une cécité originelle : aveugles de naissance, nous le sommes tous. Cette cécité originelle appelle au fond de moi une confiance encore plus originelle en celui qui est la lumière du monde, qui peut m’ouvrir les yeux et guider mes pas. Toute la démarche de foi de l’aveugle-né consiste à suivre les yeux fermés, si je puis dire, toutes les demandes de Jésus. Son itinéraire progresse graduellement de ce Jésus qui fait voir à Jésus lui-même qui est lumière, de ce que fait Jésus pour lui à ce qu’il est pour lui, du rayon qui éclaire à la source lumineuse d’où il provient.

C’est là notre chemin de foi. Il passe par une attention, la plus juste qui soit, à la réalité de vie telle qu’elle est. L’aveugle-né reste toujours très près de ces faits de vie par lesquels il est en train de passer au cours de ce processus de la foi. Il s’en tient strictement à la réalité chaque fois qu’on l’interroge. L’illumination dans le Christ n’est pas un itinéraire pour illuminés ! A l’inverse, les contradicteurs de l’aveugle-né, qu’il s’agisse des pharisiens, des juifs ou même de ses propres parents, ne reconnaissent pas une réalité qui ne correspond pas à leur vision des choses, à leur intérêt, et ils s’enfoncent par là dans la ténèbre. L’exploitation, la manipulation du réel à ses propres fins est toujours œuvre de ténèbres.

Que ce temps de Carême nous soit propice en cela. Qu’il nous fasse voir au cœur même du réel qui est le nôtre, la présence lumineuse du Christ. Car il n’est pas de plus grand bonheur au monde que d’être uni à Lui et le plus grand des malheurs serait d’en être séparé. Que le Christ soit lumière de notre vie, en notre nuit.

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