Sœur Thérésa assistant un mourant.
Dt 5, 7- 21
« Tu ne commettras pas de meurtre. »
Homélie dominicale de Fr Matthieu Gauthier:
Version phonique:
Version écrite:
Lâchez prise !
Au milieu de l’abondance des paroles que notre Seigneur nous adresse aujourd’hui, une toute petite phrase a retenu mon attention, au vu de l’actualité de ces derniers temps : « Tu ne commettras pas de meurtre. » Vous savez que les états généraux de la bioéthique ont été ouverts il y a peu, et parmi neuf grands domaines traités, ce sixième commandement m’a évoqué la question de la fin de vie. J’ai donc été faire un petit tour sur le forum ouvert par les organisateurs pour l’occasion, et je voudrais vous partager quelques découvertes.
- Premier point qui m’a marqué, c’est qu’à l’image de notre politique actuelle, il n’y a pas de débat. Le forum n’est tout simplement pas conçu pour ça. Il y a des avis, avec lesquels on peut manifester son accord (même pas son désaccord), mais aucune discussion : impossible de discuter directement les arguments de quelqu’un avec lui. Quelle misère !
- Le deuxième point, qui ne m’a pas surpris, c’est que les références religieuses sont explicitement refusées a priori par un bon nombre de participants.
- Et le troisième, c’est que parmi les grands principes avancés, un certain nombre peut se référer à la grande tradition spirituelle et théologique chrétienne. Mais les conclusions tirées de ces principes semblent en contradiction avec ce que Dieu nous révèle. Je vous propose de faire un tour dans quelques-uns de ces raisonnements, de voir s’il y a manière d’y répondre sans faire appel explicitement à notre foi, pour donner des éléments de discussion avec ceux qui ne la partagent pas, puis d’essayer de les enraciner dans la Parole de Dieu, afin qu’elle nous imprègne plus profondément.
Premier principe évoqué : La vie humaine a une valeur inestimable. Vous voyez qu’on ne peut qu’être d’accord avec cette expression. Conclusion : Tout doit être mis en œuvre lorsque la mort approche, pour la retarder le plus possible. Autrement dit, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, et donc il faut tenter le maximum. C’est oublier que la mort fait partie de la vie. Même si elle est un scandale, elle fait partie de notre réalité. Et on peut à juste titre n’avoir pas spécialement envie de vivre éternellement dans notre condition humaine terrestre.
Deuxième principe : La mort fait partie de la vie, et est inéluctable. Je viens d’y faire appel pour discuter la conclusion précédente. Conclusion de ce principe : Alors un peu plus tôt, un peu plus tard, quelle importance, vu que le résultat est le même. Je n’en dis pas plus : les trois prochains principes vont discuter ce point de vue.
Troisième principe : La souffrance est un scandale. Conclusion : il faut la supprimer à tout prix. Que d’efforts pour soulager les malades. Je donne au passage un coup de chapeau à tout le personnel médical quand il se met en quatre dans ce but. Mais quand le maximum a été fait pour supprimer la souffrance, que reste-t-il ? On achève bien un animal qui souffre. Pourquoi ne pas le faire pour les hommes ? Je ne suis pas spécialiste du comportement animal, mais il me semble que quand un loup blessé souffre et va mourir, aucun autre loup ne viendra l’achever. Au contraire, la meute le laisse seul. S’apitoyer sur la souffrance d’un être vivant est donc spécifiquement humain. Il est donc logique que la solution adoptée dans le cas d’un animal ou d’un homme diffère.
Quatrième principe : Ce qui compte, c’est l’amour. Que c’est vrai ! Donc le geste qui est fait avec amour est transformé. Tuer par amour, disent certains, ce n’est pas un meurtre. Un meurtre, c’est tuer quelqu’un par haine. Je veux bien, mais alors, il faut redéfinir tous les mots : ce qu’est le meurtre, et surtout ce qu’est l’amour ! Oui, on peut tuer par amour : un homme peut tuer sa femme par amour pour sa maîtresse, un autre écraser son avion sur des tours et tuer des centaines de personnes par amour pour Dieu. Tout ça, c’est vraiment de l’amour. Mais un amour, ça peut être tordu. C’est difficile, d’aimer vraiment. On peut avoir le sentiment d’aimer, et très mal aimer. Alors construire des lois sur quelque chose d’aussi fragile, c’est très dangereux.
Cinquième principe : Une composante fondamentale de la personne humaine, c’est sa dignité. Conclusion : Lorsque l’état d’une personne est si dégradé qu’on ne peut plus y reconnaître de la dignité, alors cela ne vaut plus la peine de vivre. Je me rappelle la réflexion d’une brave dame visiteuse dans une maison de retraite, voyant une résidente qui n’avait plus de réaction lorsqu’on s’adressait à elle : « Lorsque je serai dans cet état, vous me ferez une petite piqûre ! » Heureusement, quelqu’un lui a répondu : « Oh non ! On vous aime trop ! »
Ou ce témoignage sur le site des États généraux : « J’ai dû m’occuper des année durant de mes parents dépendants. Ce fut terriblement éprouvant. Je ne voudrais pas être un tel poids pour mes enfants ! » Bien sûr, il ne s’agit pas de faire comme si tout était simple. C’est parfois extrêmement complexe et difficile. Personne ne peut nier les souffrances que provoquent certaines situations. Mais ici, le malade est comme un miroir pour nous, qui peut parfois nous empêcher de reconnaître sa dignité, quel que soit son état. Évidemment, on préfère être jeune, beau, riche et en bonne santé. Quelle dignité reste à la personne si tout cela disparaît ?
Pour répondre à cette question, certains m’interdisent d’utiliser un argument de foi. Alors j’ai cherché autre chose. Et m’est venue à l’esprit une attitude très répandue dans notre monde, en particulier dans le New Age, mais surtout dans toutes les entreprises de bien-être psychologique bien à la mode ! C’est celle du lâcher-prise. Dans nos relations avec notre environnement, il y a bien des choses qui nous échappent, et cela peut engendrer une certaine angoisse. Nous réagissons donc en essayant de tout contrôler. Or cette tentative peut être encore plus anxiogène. Le lâcher-prise permet d’apaiser cette angoisse. En plus, le lâcher-prise engendre un renoncement à contrôler nos relations avec les autres, et donc les autres eux-mêmes. On peut y reconnaître un surcroît d’humanité.
Or les comportements d’acharnement thérapeutique (suite au premier principe) ou d’euthanasie (suite aux quatre autres) sont fondamentalement des tentatives, ou des tentations, de contrôler notre relation à la mort, et donc à la vie. Accepter la mort et renoncer à la provoquer me semblent deux attitudes correspondant bien à ce lâcher-prise. Accepter la dépendance en est le premier pas, en la considérant non pas comme un état dégradé, mais au contraire comme un état permettant un surcroît d’humanité !
Pourtant, le lâcher-prise comporte quelques risques : par exemple le désengagement. Si je lâche prise, alors je peux être tenté de renoncer à tout choix et à toute action. Ou même pire encore : l’indifférence. Si je me laisse toucher, je risque de n’être plus en position de lâcher prise. Alors je me blinde.
L’Esprit-Saint. C’est un lâcher-prise fondamental !
Alors, demandons de l’aide notre Seigneur, et faisons appel à notre foi. Jésus répond à ce risque en nous proposant l’Esprit-Saint. C’est un lâcher-prise fondamental ! « Seigneur ! Viens en moi ! m’habiter ! Viens en aide à mon intelligence limitée et parfois obscurcie ! Et viens en aide à ma volonté si faible, face à ce que je vois que je devrais faire. J’y arrive si peu souvent ! » Ce lâcher prise, cette reconnaissance de notre faiblesse, voilà ce qui permet à Dieu de venir accomplir en nous sa propre œuvre. Alors non seulement nous lâchons prise, mais nous sommes orientés vers l’action : Dieu agit par nous. C’est bien ce à quoi nous incite le pape François, en particulier envers les jeunes : « Sors de ton canapé ! Un jeune qui ne s’engage pas est un jeune à la retraite ! »
Et lorsque cette petite phrase « Tu ne commettras pas de meurtre » nous semble lourde, difficile à mettre en œuvre, compliquée à comprendre, alors confiance ! Rappelons-nous l’introduction à ces dix paroles : « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage d’Égypte. » La réception de la loi de Dieu est une libération, libération de tout ce qui nous incite à vouloir tout contrôler, de nous-mêmes, ou des autres.
Fr Matthieu Gauthier op.