L’Esprit est la Vie, notre vie

5 juin 2022 – Solennité de la Pentecôte, année C
Ac 2,1-11 ; Ps 103 (104) ; Rm 8,8-17 ; Jn 14,15-16.23b-26
Homélie du frère Joseph-Thomas Pini



La Pentecôte – El Greco, huile sur toile, v. 1600 – Madrid, musée du Prado

Toutes choses paraissaient s’éclairer, se préciser, s’expliquer, s’animer à la lumière pascale et par la parole et la présence du Ressuscité, comme sur le chemin d’Emmaüs, comme aux autres apparitions aux Apôtres, comme sur le rivage de la pêche miraculeuse. Pourtant, le temps liturgique de Pâques semble s’achever sur des questions. Pour qui ne verrait la vie dans le Christ que comme une série de réponses bien maîtrisées, il pourrait y avoir un paradoxe. Une première de ces questions, c’est l’identité de Celui que nous célébrons spécialement en la solennité de Pentecôte. Qui est Celui qui, dans la Trinité, n’est ni le Père, source et fin de tout, ni le Fils unique engendré de Lui, qui Se fait connaître comme Fils et nous Le fait connaître comme Père, et qui, pour nous, a un visage, un nom et même une histoire humaine, Jésus Christ ? Ce troisième, qui est Dieu, toujours en queue de distribution mais toujours mentionné, n’a pas de nom ni d’autre qualité distinctive que d’être esprit et d’être saint, comme Dieu est esprit et toute sainteté. Se manifeste-t-Il ? Dans l’Ecriture, pas de voix qui retentit, pas d’humanité assumée par la divinité, pas de buisson ardent, pas d’apparition, mais une colombe, ou un vent puissant, ou des langues de feu. Et pour parler de Lui, des images et figures prises dans la nature : un feu bienfaisant, une fraîcheur apaisante, une eau désaltérante, une onction parfumée, une marque profonde tel un sceau, qui disent par touches d’abord la réalité de Son œuvre sans Le saisir complètement.

Pourtant, pas de cache-cache de Dieu une fois le Christ remonté dans la pleine gloire, avec des indices qu’aurait laissés le Christ pour annoncer par touches l’étape suivante : des noms, des formules comme pour attiser la curiosité et stimuler l’attente. Car l’Esprit, le Paraclet, le Consolateur, n’est pas soigneusement dissimulé et réservé pour quelque mission. Il est là de toute éternité avec le Père et le Fils. Il est partout : dans la création, dans les gestes de Dieu pour les hommes, dans l’Église qui prend corps et vie au Cénacle lorsqu’Il vient sur les Apôtres autour de la Vierge Marie, dans les ministères qui accompagnent et conduisent toutes nos célébrations, dans nos louanges et nos invocations, dans les trésors de la Parole et des sacrements confiés à l’Église, dans l’intelligence de la foi, à son commencement et dans son mouvement, au départ et à l’intime de notre prière, dans tout cœur qui aime au-delà de ce vers quoi porte la nature ou que commande la justice, dans tout esprit recherchant la vérité et s’attachant à elle.

Dire ainsi qu’Il fait tout ou presque ne serait finalement pas plus satisfaisant. D’autant qu’Il n’est, pour autant, pas plus facile à reconnaître avec évidence. Ce doux hôte, qui trame notre histoire, le cours du monde et, selon la belle formule d’Irénée de Lyon, « enlace » nos vies, c’est par Ses fruits qu’Il se perçoit d’abord : fruit de douceur, de patience, et avant tout la paix véritable, celle en Dieu, et la joie authentique, celle qui accompagne le vrai amour. Cette sève, cette source vive, qui est murmure et même silence, ce n’est ni à Son aspect ni à Son bruit qu’Il Se reconnaît, mais à Son parfum et Sa saveur. Et aussi à Sa vigueur et à Ses œuvres. Sa présence apporte des dons divins, une puissance agissante de Dieu qui vient orienter, diriger, purifier, corriger, guérir ce qui, en nous, dans nos pensées et nos actes, par déviation ou par insuffisance, ne nous conduit pas à Dieu, et Il Se communique pour un supplément qui nous rapproche du Père dans le Fils, en faisant que Dieu amène à Dieu. Dès lors, Il peut être reconnu, en tout ce que l’homme accomplit au-delà de son intelligence, de son savoir, de sa force, de son jugement, de sa capacité naturelle d’aimer.

Voilà beaucoup ! Peut-être assez pour un portrait chinois, mais pas encore pour l’essentiel. Tout ce que nous apprenons de l’Esprit Saint nous amène à ce qu’Il est, dans Sa nature et dans Sa mission : le Don d’Amour. L’Amour réciproque du Père et du Fils, leur trait d’union plénier et parfait qui est Dieu, le souffle immense qu’Ils échangent. Et l’Amour mutuel du Père et du Fils pour la création et dans la création. Dans le dessein et l’action de salut de Dieu par Jésus Christ, cet Amour, qui est Don, ne peut donc qu’être donné aux hommes par le Christ, de Son côté transpercé, au nom du Père, et par le Père au nom de Son Fils. Pour que l’amour dont S’aiment le Père et le Fils se répande dans le monde en prolongeant ce don que le Père a fait de Son Fils, et l’offrande du Fils à Son Père. Et pour que la vie véritable qui a été apportée aux hommes par le Christ agisse réellement, constamment et partout en Son Nom. Nous ouvrant toujours plus à l’amour de Dieu dans l’amour de nos frères, Il nous établit dans Sa volonté qui est amour, dans Son amour qui est Sa volonté. Il nous faut prendre et reprendre conscience que, baptisés dans le Christ par la puissance de l’Esprit, Lui-même est devenu notre souffle, notre respiration, la présence amicale de Dieu dans notre vie, et qu’Il nous associe à l’intimité même de Dieu pour que nous soyons au Père comme des fils à l’imitation du Fils, et que nous soyons au monde comme des disciples, des témoins et des frères à l’imitation du Christ. Il est le mouvement de notre vie spirituelle chrétienne. En nous et sur nous, cet Esprit, c’est celui de l’Incarnation du Christ, de Ses gestes et paroles, de Sa Résurrection, et Il vit en nous, de sorte que nos corps mêmes en sont sanctifiés.

Il n’est donc pas un inconnu ou un absent. Pas un camarade au compagnonnage banal. Mais la merveille de la vie, trop présente sans doute pour que nous y pensions sans cesse, mais trop belle et trop précieuse pour l’ignorer, alors qu’elle est notre liberté véritable, notre ardeur et le chemin de notre destinée de bonheur.

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