Ni vous ni moi, nous n’avons vu la Gloire de Dieu. Et pourtant nous avons tous vécu des moments extraordinaires.Nous avons le souvenir de ces instants de joie, de paix, de plénitude, qui nous ont transportés ailleurs, au-delà du temps et de l’espace. Notre vie est ainsi parsemée de ces instants qui ont une saveur d’éternité.
Ce que vivent les apôtres est toutefois une expérience bien particulière. Ils sont là, sur cette haute montagne où Jésus les a conduits. Ce n’est pas à un entretien amical qu’il les convie, ni un nouvel enseignement qu’il veut leur donner. Ici, sous leurs yeux, se déroule une rencontre inédite. Jésus apparaît transfiguré, resplendissant de lumière. Et à ses côtés se tiennent Moïse et Élie, bientôt enveloppés dans une brume, une nuée, avant qu’une voix venue du ciel ne se fasse entendre. Ce n’est rien moins qu’une théophanie, une manifestation de Dieu, comme on en voit tant dans la Bible. La Transfiguration rappelle l’épisode du baptême de Jésus dans le Jourdain. Elle préfigure les événements de la Passion et de la Résurrection.
Arrêtons-nous un instant sur les deux personnages qui sont en conversation avec Jésus. Moïse et Élie comptent parmi les plus grandes personnalités de l’histoire biblique.
Moïse est celui qui a vu Dieu face à face. Il a conversé avec lui, comme un homme parle avec un autre homme. Il lui a parlé cœur à cœur, bouche à bouche, comme dit le texte hébreu. Échange de souffle, communication de vie, l’homme reçoit le souffle de Dieu et Dieu se fait proche de l’homme pour entendre son souffle. La communication devient communion. L’homme est introduit dans le mystère de la présence, de l’intimité divine. Depuis le buisson ardent, Moïse sait que Dieu voit et entend l’homme qui souffre, qui crie vers lui. Plus tard, Moïse découvre que Dieu est tendresse et bonté, riche en grâce. Mais qu’il vient aussi sonder, visiter le cœur de l’homme pour l’appeler à un chemin de conversion et de transformation.
Élie, quant à lui, a marché sur les traces de son prédécesseur. Brûlé par l’amour du Dieu vivant, consumé par le désir de ramener les hommes vers Dieu, il retourne aux sources mêmes de l’Alliance, sur la montagne sainte, là où Moïse avait reçu la Loi et les commandements. Avec audace et courage, Élie s’oppose aux cultes des faux dieux, et il éprouve un zèle ardent pour le Dieu de l’Alliance. Élie annonce le Dieu qui vient ressusciter l’homme et faire toute chose nouvelle.
Ce n’est donc pas par hasard que sur la montagne, les apôtres voient Jésus converser avec Moïse et Élie. En effet, les deux prophètes ont attendu le jour du Messie, ils ont désiré ardemment sa venue et ont préparé les hommes à le recevoir. Jésus manifeste ainsi qu’il vient de Dieu et il entre dans le monde au terme d’une longue préparation. Jésus, tout en étant homme, n’en est pas moins Dieu. Tout en étant avec nous, il ne cesse d’être en Dieu. Le Père et Lui ne sont qu’un. Jésus est le visage du Dieu vivant totalement présent dans l’humanité.
Cette humanité n’est pas une enveloppe extérieure, mais le lieu où Dieu se donne à voir. Le corps de Jésus est le pont qui relie Dieu et les hommes, l’échelle dressée entre le ciel et la terre. Son corps transfiguré annonce déjà que notre corps à nous sera un jour transformé dans sa Lumière, que notre corps aura part à la gloire de Dieu. Notre corps de chair, engagé dans l’ordre de la nature, mourra avant de pouvoir renaître dans l’ordre nouveau de l’éternité.
La Transfiguration est donc un message de foi particulièrement puissant. Nous croyons en effet que tout ce que Jésus vit dans son humanité, nous-mêmes sommes appelés à le vivre. Ce que nous vivons actuellement dans notre chair, dans notre corps mortel, n’est pas le signe d’une fatalité, d’une condition accidentelle, d’une malédiction ou d’un épisode contingent, mais bien la marque d’une bénédiction, la condition pour entrer en relation et en communion avec Dieu, la promesse d’un achèvement, d’une grâce. Son incarnation est le lieu du passage, le point de rencontre, là où il se fait reconnaître.
Nos corps sont un temple, une demeure animée par le souffle de l’Esprit, habitée par la foi, l’espérance et l’amour. Malgré leur faiblesse ou leur fragilité, ils peuvent déjà laisser entrevoir le mystère de l’éternité, le lieu que Dieu vient investir par sa grâce. Lorsque nous mourrons, ils reviendront certes à la terre, ils redeviendront poussière, afin de manifester qu’à Dieu l’homme ne peut accéder pleinement que par une transformation radicale. La mort fera son œuvre en nos corps, afin que Dieu puisse un jour révéler que ces mêmes corps étaient en attente d’un accomplissement. Il nous réintégrera dans la totalité de notre être personnel par le processus de la résurrection.
Alors, lorsque dans le Credo nous affirmons notre foi en la résurrection de la chair, nous ne disons pas que nous allons retrouver un corps semblable à celui que nous avons maintenant, mais nous croyons que Dieu recréera cette personne que nous constituons dans son Amour, libérés de toute finitude et de toute entrave. Nous parviendrons alors à la plénitude de notre existence propre. Nous serons enfin nous-mêmes. Nos êtres réconciliés participeront ainsi à l’éternité dans leur singularité, dans leur individualité. Ils évolueront dans un inépuisable échange d’amour avec tous les vivants, en Dieu, le Vivant.
Ce que nous osons dire avec des mots humains reste évidemment bien en deçà de ce que nous pourrons expérimenter. Mais Jésus nous a donné ce qu’il faut pour vivre dans cette espérance. Sa Transfiguration, qui annonce sa résurrection comme victoire sur la mort, est un maillon essentiel pour comprendre le sens à notre aventure humaine. Nous savons que nous sommes faits pour Dieu, et qu’un jour, par Jésus, nous verrons Dieu.
La Gloire de Dieu c’est l’homme vivant. La gloire de l’homme, c’est de vivre en Dieu. Surtout que la promesse que Jésus nous fait nous aide à traverser toute épreuve jusqu’au jour où il viendra dans sa Gloire !