Vœux ou bénédictions ? de Fr Emmanuel Pisani.

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Notre Dame de Vladimir, vers 1130 à Constantinople Notre Dame de Vladimir, vers 1130 à Constantinople
Lc 2, 16-21
 » L’enfant reçu le nom de Jésus, le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception. »
Prédication de Fr Emmanuel Pisani:
Des Vœux ou des bénédictions ?
             Avez-vous téléphoné ce matin ou cet après-midi à la famille, aux amis, aux voisins pour leur souhaiter les vœux de bonne année ? Avez-vous envoyé vos cartes de vœux ou vos cartes Dromadaires ? Pas encore ? Pas de panique, en théorie, vous avez jusqu’au 31 janvier pour le faire.
            Mais pourquoi souhaitez des vœux ? N’est-ce pas se prendre un peu pour Dieu en voulant donner à nos mots une dimension performative qui est le propre de la Parole divine ?  Je m’explique. Quand Dieu dit : « Que la  lumière soit », la lumière est.  Il suffit que Dieu dise pour que cela soit. Mais nous n’avons pas le même pouvoir. Il ne suffit pas de dire « je vous souhaite beaucoup de bonheur en amour, beaucoup de joie dans l’accomplissement de votre travail et surtout la santé, car sans la santé… » pour que tout cela advienne au cours de l’année. On aimerait sans doute, mais il n’en est rien, et nous le savons, et chaque année, nous faisons l’expérience que ces vœux, ces énoncés adressés afin d’exprimer notre désir qu’un état de choses positif se produise » ne se réalisent pas.L’épreuve du chômage pour les uns, de la santé pour d’autres, de la mort d’un ami  ou d’une personne chère, des complications de santé, des soucis avec les impôts ou le locataire, quand ce n’est pas avec les voisins, des embrouilles familiales, des mauvaises surprises avec la voiture, bref, tout cela fait partie de la vie quotidienne, et on n’y échappe pas, on n’y échappera pas. Pourtant, cela ne nous empêche pas une fois encore de souhaiter la bonne année et d’envoyer nos vœux. Alors pourquoi ?       Pourquoi ces «cadeaux verbaux» alors même que l’on sait bien qu’ils n’ont pas le pouvoir magique de provoquer le bien et de réaliser le futur ?
Peut-être parce qu’ils permettent de créer du lien, de l’entretenir ou de le renforcer. Ils favorisent la relation. Et c’est important. Le rite est certes un peu artificiel, mais justement pour le rendre sincère, l’on va rajouter un petit adverbe, un petit mot sentimental : heureuse nouvelle année, vraiment. Ou encore du fond du cœur, mes meilleurs vœux.
            Je ne dérogerai pas au rituel, et je vous souhaite vraiment, du fond du cœur, une très belle année 2017. Mais je voudrais vous faire remarquer que la liturgie de ce jour ne nous invite pas à nous souhaiter les meilleurs vœux. La liturgie nous place à un autre registre, celui de la bénédiction.
Ainsi, dans la première lecture : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! » et dans le Psaume 66, « Que Dieu nous bénisse, qu’il fasse resplendir sur nous son visage » et dans l’Evangile, encore, les bergers après avoir rendu visite à la crèche, ils « ils glorifiaient et bénissaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu ».
Pour un juif, il n’y a rien de surprenant : ces bergers sont des juifs, et bénir est absolument fondamental ; un juif pieux doit bénir au moins cent fois par jour. Il bénit sa nourriture bien sûr  car ne pas bénir les aliments reviendrait à agir comme un voleur ; comme un profanateur ; cela reviendrait à s’attribuer quelque chose comme si cela nous appartenait de droit. Il bénit quand il accomplit une prière, il bénit à toute occasion, même quand il y a une maladie ou une injustice, parce qu’il garde l’espérance du salut, l’espérance messianique. En hébreu, la bénédiction se dit beraka ; elle est le reflet de la lumière qui, bien que cachée, est là, visible dans la foi. La bénédiction remet les choses à leur place. Elle rappelle que c’est Dieu qui est créateur, que c’est par ses dons que je peux vivre et que Dieu est celui qui pourvoie. Selon l’interprétation d’un rabbi, les bénédictions sont « les poutres porteuses de la sainteté de notre vie ». La bénédiction a le pouvoir de mettre en relation le temporel et le spirituel, le sacré et le profane, elle permet de mettre en présence le monde de Dieu et le monde de l’homme, l’invisible et le visible, le présent et l’avenir.  Si étymologiquement en latin bénir, signifie dire du bien, alors demander la bénédiction de Dieu revient à demander à ce que Dieu dise du bien de nous. En fait, là aussi, il n’y a rien d’étonnant. Dieu ne peut dire que du bien, Dieu ne peut pas dire du mal. Et quand il parle de nous, c’est toujours en bien car il nous voit déjà dans la Lumière de la résurrection de son Fils.
Vous remarquez que dans ces bénédictions, il est aussi question de paix : quand je te bénis, je demande que Dieu t’apporte la paix, cette paix si douce et si précieuse à nos vies mouvementées et parfois bousculées. Le mot « baraq »  signifie d’ailleurs l’agenouillement du chameau. Ainsi, la bénédiction consiste à donner la paix à la personne, à lui permettre de se reposer comme après une étape de pèlerinage. La bénédiction consiste à souhaiter à une personne d’atteindre la pleine réalisation de son être, d’atteindre le but de sa vie, ce pour quoi elle est faite.
Invoquer la bénédiction de Dieu, c’est affirmer que notre temps est rempli de Dieu, de sa présence, et que ce qu’il veut se réalisera ; que dans les difficultés ou les méandres de nos vies, les fragilités de nos existences, Dieu agit, Dieu est là, son amour, son salut.
             Et tel est le sens de cette solennité du 1er janvier, de Marie mère de Dieu. C’est le concile Vatican II qui a replacé cette célébration au 1er janvier. Et cela fait sens, car Marie est la comblée des bénédictions du Seigneur, la bénie entre toutes les femmes. Si bien que le Christ, Dieu fait homme, a pris chair en son sein. Pour autant, être comblée des bénédictions de Dieu ne signifie pas que sa vie a été de tout repos, qu’elle a été « un long fleuve tranquille ». Marie ne manquera pas d’épreuves ; un glaive de douleur transpercera son cœur le jour de la mort de son fils unique, de son enfant bien aimé. Mais c’est cette présence du Seigneur qui lui permettra de tenir debout le vendredi de la Passion du Christ, debout, près de la croix.
            Voilà chers amis le sens de la bénédiction à laquelle nous sommes invités tout particulièrement pour commencer l’année. Bénir, c’est affirmer que Dieu est présent dans notre vie et qu’il le sera chaque jour de l’année à venir. Note vie continuera à être traversée par des épreuves, des déboires, des soucis, des ratés, des échecs peut-être, des souffrances sans doute. Mais nous affirmons en ce premier jour de l’année, que Dieu sera présent en tout, qu’il sera toujours là. Placer notre regard sous la bénédiction de Dieu revient à regarder avec confiance, espérance et à se fier à la Providence. Nous chrétiens, nous pouvons témoigner de cette espérance. Ne tombons pas dans le piège de la sinistrose, du catastrophisme écologique, économique et financier. Le monde est douloureux, chaotique parfois, mais nous savons que Dieu est là et nous demandons sa bénédiction. Et nous savons qu’elle nous est donnée car il en est de la nature même de Dieu. Quoi qu’il advienne, Dieu est celui qui fait surgir la puissance du salut et la lumière. Les moyens qu’il utilise sont des moyens très simples, très humbles. Ils n’ont rien de tonitruant, à l’exemple de la naissance de cet enfant à Bethléem. C’est ainsi que Dieu sauve.
Alors à tous, que le Seigneur vous bénisse et vous garde, qu’il vous donne sa lumière et sa paix.

Fr Emmanuel Pisani op.

Lien vers la liturgie florale du jour: Fêtons Marie, Mère de Dieu.